Ni rancœur, ni colère : tel est le nom du quatrième album de Suarez, groupe star en Belgique, qui ne cesse, depuis désormais 10 ans, de se réinventer à chaque disque.
Flashback. Mons, début des années 2000. Marc Pinilla étudie les sciences économiques à l’université. Après des années de Conservatoire, où il a appris, entre autres, la flute traversière, il a décidé à l’adolescence de s’acheter une guitare et de poursuivre sa voie musicale en autodidacte. Au supermarché, il rencontre trois musiciens malgaches qui possèdent un studio d’enregistrement à côté de sa fac. Ce sont les frères Max Njava (basse) et Pata Njava (batterie), et leur cousin Dada Ravalison (guitare). Avec leur groupe Njava, ils ont remporté un concours de world music dans les années 90, et ont ensuite tourné dans le monde entier. Après s’être séparés de leur label, les Njava décident de poser leurs valises à Mons, où ils rachètent un petit studio qui ne désemplit pas.
Ainsi, Marc Pinilla s’y rend pour enregistrer quelques maquettes, en amateur. Intrigué par le charisme du jeune homme, Dada lui propose de monter un groupe… à la condition que Marc chante en français ! Celui-ci est plutôt influencé par la pop anglophone : « L’exercice a d’abord été compliqué, mais Dada avait raison : le premier album de Suarez, On attend, s’est fait très vite et, dès 2008, nous avons rencontré le succès en Belgique. Notre objectif : dévorer tous les styles de musique pour en garder le meilleur. »
Le groupe se fraie également un chemin en France où ils défendent leur pop plurielle en première partie des concerts de Vanessa Paradis ou Thomas Dutronc. Né en même temps qu’Olivia Ruiz, Julien Doré ou Mademoiselle K, Suarez épouse la nouvelle dynamique de la nouvelle scène française. « Des artistes comme Matthieu Chedid nous ont aussi encouragés à mettre en avant la richesse de nos influences africanisantes », précise Marc.
Depuis, Suarez a été rejoint par le percussionniste David Donnat et, tout en publiant régulièrement des albums (On attend, 2008 - L’Indécideur, 2012 - En équilibre, 2014) ne déroge pas à ses règles créatives : Dada et Marc se chargent ensemble du travail en studio, les autres membres les rejoignent sur scène. « Nos quatre albums ont été faits dans 20 mètres carrés », s’amuse Marc. « Nous avons compris comment fonctionner ensemble. Dada a une culture musicale incroyable, c’est un véritable Spotify humain ! Son expérience scénique a rejoint ma connaissance de la pop contemporaine, nous sommes parfaitement complémentaires. Le choc provoqué par la rencontre de nos cultures européenne et malgache est devenu une force. Au bout de 10 ans, nous avons surmonté nos différences et vivons notre quotidien en harmonie. » Une vibration positive qui se ressent dans la musique de Suarez.
Bénéficiant de longues heures passées en studio, à chercher le son et les arrangements parfaits, Ni rancœur, ni colère est un disque nourri des multiples influences du groupe, de la ballade saudade à la soul en passant par les mélodies traditionnelles malgaches, la pop anglo-saxonne ou la chanson française. Les références de Marc brillent par leur éclectisme : Elton John, pour ses « vraies mélodies qui trottent dans la tête », Radiohead, Smashing Pumpkins, Daft Punk, l’électro-pop… En résulte un recueil de 11 titres d’une harmonie étonnante. Au chant, Marc semble plus en confiance que jamais. Sans doute grâce à sa notoriété médiatique : depuis 2013, il est coach au sein de la version belge de l’émission The Voice, où il apprend à maîtriser son image face à la caméra.
En 2015, il s’octroie une pause afin de se consacrer à une nouvelle aventure : la production. Sur The Voice, il a été bluffé par le talent de celle qui deviendra Alice On The Roof. Il produit et réalise son premier album. Mais, plutôt que de repartir vers d’autres missions de producteur, Marc est alors titillé dans sa créativité. Offrir des morceaux à la jeune Alice lui a donné l’envie de se consacrer à ses propres chansons, de relancer Suarez plus que jamais : « L’expérience Alice a été un moteur, j’ai eu envie d’être reconnu pour ma musique, de tirer profit des conseils que je lui avais donné. J’ai notamment compris comment faire simplement une chanson, en partant du piano-voix ou du guitare-voix et non pas des riffs ou d’une ambiance sonore comme avant. N’importe lequel de ces titres peut être joué autour d’un feu de camp. »
Pour servir cet amour de la chanson, Marc Pinilla a convoqué la crème des paroliers. Bensé (« Voir la mer »), Ben Mazué (« Si Seulement »), Antoine Hénaut (« La foudre », « Si on savait ») et surtout Barcella, qui a écrit la majorité des titres. Une collaboration évidente, spontanée, à l’image de morceaux qui, sans renier la profondeur de leurs textes, s’égrènent avec une légèreté pop. L’amour, la différence, la solitude... Ces thèmes à la fois personnels et universels parlent à tous, sur une trame sonore plus synthétique, dans l’air du temps.
On tombe donc sous le charme d’un « Passe Passe » séducteur, de l’universalité de « Ne te retourne pas », de la déclaration amoureuse de « Sur tes lèvres », de l’espoir fou de « La Foudre » ou encore de l’énergie reggae d’ « En Altitude ». Cerise sur le gâteau, une reprise de « L’Amour à la plage » de Niagara, un duo irrésistible avec Alice on the Roof. Quant au morceau qui a donné son nom à l’album, et dont le clip a été réalisé par le brillant Brice VDH (clips de Julien Doré), il prouve à lui seul la sérénité et l’apaisement que vivent actuellement les membres de Suarez. Face à un monde en conflit et sous tension, ils ripostent avec des mélodies accroche-cœurs et des rythmes intemporels. La musique adoucit les mœurs, c’est bien connu.
Cette étape du quatrième album, qui devrait définitivement ouvrir les portes des classements français, est l’occasion d’une renaissance pour Suarez : « je n’aurais pas imaginé redémarrer à zéro, confesse Marc, et j’ai hâte de défendre ce disque sur les scènes françaises ». Nous aussi.